DEUX REQUIEM PROVENCAUX

André CAMPRA (Aix en Provence 1660 – Versailles 1744)

Jean GILLES (Tarascon 1668 –Toulouse 1705)

 

Le programme musical et théâtral imaginé par Chœurs en Grésivaudan et le Théâtre sous la Dent nous plonge dans la période qui accompagne la fin du règne de Louis XIV.

 

La France, pas encore celle des lumières, est encore baignée par le soleil crépusculaire du roi Louis XIV. L’ombre du grand Jean Baptiste LULLY plane encore sur les arts et permet à des talents originaux de s’exprimer.

 

André Campra
André Campra

André CAMPRA, d’abord formé à la cathédrale d’Aix-en-Provence, devient maître de chapelle de Toulon, puis d’Arles, de la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse avant d’arriver à Notre-Dame de Paris. Très vite, les obligations d’auteur de musique religieuse, attaché à un archevêque lui pèsent et il quitte la fonction de maître de chapelle de Notre-Dame de Paris dès 1705. Il se consacre alors essentiellement à la composition de musique d’opéra et de ballet, qui lui apporte une renommée parfaitement justifiée.

Il est ensuite rattaché au service du Prince de Conti et mêle alors œuvre pour le service de la chapelle du Prince et œuvre d’opéra.

En 1723, il compose une Messe de Requiem qui est vite célèbre.

Il meurt en 1744 à Versailles, dans le dénuement, sans que l’on sache vraiment pourquoi.

 

Extrait du manuscrit du requiem de Campra - 1722
Extrait du manuscrit du requiem de Campra - 1722

Jean GILLES, plus jeune que son contemporain André CAMPRA, est comme tous les musiciens méridionaux de cette époque, fasciné par le succès rencontré à Paris par son aîné.

Il écrit sa Messe de Requiem en 1697 à la suite d’une commande qui lui est passé par deux toulousains désireux de commémorer la mémoire de leurs pères, deux amis morts en même temps. Fraîchement nommé au poste de Maître de chapelle de la Cathédrale Saint-Etienne, Jean GILLES se passionne pour cette œuvre et c’est avec dépit qu’il s’aperçoit que les héritiers vont oublier de la payer et lui laisser la musique qu’il avait écrit pour eux. Sans doute que la mémoire des pères s’était estompée six mois après leurs décès …

Jean GILLES décide alors que cette musique sera réservée à ses obsèques. Il meurt hélas fort jeune, en 1705, et c’est André Campra qui assure la création de l’œuvre lors du convoi funèbre.

A partir de ce moment l’œuvre prend une notoriété qui dépasse vite les limites locales de l’archevêché de Toulouse et devient un succès des Concerts Spirituels à Paris. 15 représentations sont archivées dans les registres de l’institution, et ce jusqu’en 1770, ce qui reste une record pour ce type de musique à une époque où les reprises sont très rares.

A coté de cela, l’œuvre entame une carrière mondaine puisqu’elle va être jouée aux obsèques de Rameau, du Roi Stanislas de Pologne, et enfin du Roi Louis XV lui-même.

 

Ce qui surprend dans ces deux Requiem, composés à 30 ans d’écart, c’est cette énergie, cette confiance et ce mouvement permanent qui animent chacune des œuvres. On ne peut vraiment pas parler de « musique d’enterrement » !

La marquise de Pompadour - Esquisse par Maurice Quentin de La Tour.
La marquise de Pompadour - Esquisse par Maurice Quentin de La Tour.

C’est ce qui nous a donné l’idée de mettre en regard des grands textes de la littérature, d’auteurs qui parlent de la mort, racontent la mort des autres, analyse la mort ou parfois la craignent.

On s’aperçoit à les lire que notre image sombre, noire, sinistre de la mort n’est pas celle des auteurs, prédicateurs, fabulistes, philosophes, … de ces XVII° et XVIII° siècles.

En effet, celle-ci est à la fois une amie attendue et respectée, une alliée, une ennemie crainte et une dangereuse traîtresse …

 Nous avons souhaité mélanger les textes des auteurs à l’audition de ces deux Messes des Morts. De même qu’à l’office, ces musiques n’étaient pas interprétées comme au concert, mais bien mises en situation liturgique, entrecoupée de lectures, prières, gestes symboliques, actions sacramentelles et temps de silence.

Ce concert vous permettra de vous replonger dans l’ambiance et l’état d’esprit des auditeurs de cette musique, pour qui le langage symbolique utilisé par les deux musiciens était beaucoup plus évident qu’il ne l’est aujourd’hui à nos oreilles déshabituées du plain chant, du grégorien et de l’usage d’images métaphoriques.

 

Buste de Lully par Antoine Coysevox sur la tombe de Lully à la basilique Notre-Dame-des-Victoires de Paris
Buste de Lully par Antoine Coysevox sur la tombe de Lully à la basilique Notre-Dame-des-Victoires de Paris

Enfin, quelques mots sur l’engouement de Paris pour les musiciens venus du Sud.

CAMPRA représente pour les gens de ce début de XVIII siècle l’image du musicien monté de province, arrivé à Paris, qui a réussi. Dans le sillage de LULLY, tous les grands musiciens qui ont obtenu une certaine notoriété se sont appliqués à imiter ou continuer le grand musicien italien, dont la plus grande gloire est sans doute d’avoir codifié la musique … française !

Tellement codifiée, normalisée, enserrée dans des formes, que peu de musiciens du règne de Louis XIV oseront sortir du formalisme imposé par LULLY. Marc-Antoine CHARPENTIER, pourtant formé à Rome auprès de CARISSIMI, n’osera pas rompre avec la grande tradition de son aîné et restera la plupart du temps dans la continuation des formes du règne de Louis XIV. Dans la musique religieuse, de même le Grand Motet à la française perdurera quasiment jusqu’à la Révolution, et même un génial MONDONVILLE n’osera pas rompre avec la forme.

 

 CAMPRA et GILLES sont un peu des trublions dans cet océan de génial conformisme. C’est là que réside leur succès. Ils innovent, osent, et finalement, proposent une musique originale qui remet en cause la pratique d’un siècle de tradition. Cette nouveauté fera leur succès et leur longévité dans les programmes de concerts.

 

C’est aussi que la joie de vivre exprimée par cette musique apporte une énergie bienfaisante qui nous impressionne toujours.